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Manifeste en copeaux

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Ce que sculpter veut me dire

Langue. Grammaire du réel. Mots qui font, sons qui ordonnent. Création. Le monde mis en mots pour l’extraire de sa coque de néant, de son magma indistinct. Donner fond à la forme. Prétention démiurge.

Je ne peux sculpter sans raconter, sans tenter de pousser le dicible vers de nouvelles limites. Car nommer, c’est ouvrir le livre de la pensée, inscrire une majuscule au grand récit de l’humanité, guider l’inconscience des sens au chemin des repères et à la lumière des références. Un mot entraine l’autre, comme dans un jeu de quilles où la première vacillante bouscule les autres adjacentes qui basculent à leur tour et peu à peu créent un mouvement qui devient narration.

En découvrant l’aube d’une bouche dans le nœud d’un billot, en dégageant les écailles d’un reptile sous l’écorce d’un tronc, en ciselant un filet de barbe dans le fil du bois, en délignant la dosse pour inscrire des dents dans l’aubier, je crée la grammaire de mon imaginaire. J’ouvre un livre sur moi-même qui devient monde. Le mien. Un monde en partage qui invite à l’exploration. Un monde libre qui empreinte et réinvente. Et si les mots viennent à manquer, je prends ma gouge et creuse une veine plus profonde. Ce cheminement mène je ne sais où… au puits de ma conscience.

Voilà pourquoi mes sculptures sont des mots en dimensions, un langage qui s’invente au fur et à mesure que mon ciseau apprivoise, explore, épouse le fil du bois et découvre en son grain un sens insoupçonné. Je raconte l’histoire d’une matière qui inspire ; je sculpte et peins la réalité d’un univers qui se révèle.

Bois, papier, écriture, sculpture, peinture.

Sculpter, c’est nommer aussi. Désigner un rêve, dessiner un désir, imaginer une fuite. Je cherche le réel parfois, plutôt que je le façonne. La paresse colle au maillet. Elle guette les formes acquises, les relents de mémoire, le miroir d’une vie d’emprunte et d’empreintes…

Un œil reste un œil, même si son trait parait enfantin, même s’il est cyclopéen. Je n’entends pas de cri sans bouche dans la biologie approximative de mes gueules de bois. La référence est un moule dictateur. S’en écarter, une discipline. La courtiser, une tentation. Au final, de cet équilibre nait un monde nouveau, un récit imaginaire, une fenêtre ouverte sur un au-delà où la forme de bois développe une syntaxe renouvelée.

Car sculpter le langage ou exprimer la sculpture forme la tresse à deux bruns d’une quête en frustration. Quel est donc le ressort à l'expression de ce cosmos personnel ? Vanité ? Partage ? Fuite ? Illusion ? Dans les brouesques de mes monstroncs, dans les goujures lumineuses qui ornent leurs flancs, sur l’absuide aborante des moisissures où le regard jubile, je sais qu’une vie mienne a soufflé sa petite musique intérieure et me traduit, de bois, de mots, de couleurs, en un mirage d’éternité.

Assez pour moi. Et pour vous?

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